De la maladie mentale

Comme je suis lassée de cette conception de la maladie mentale comme tourment de l’âme qui ne résulterait que d’un défaut de volonté et d’un manque d’optimisme. Lorsqu’elle frappe, la maladie mentale désorganise le corps entier, le rapport au monde et à soi. Qu’est-ce donc que cette survivance de conceptions poussiéreuses? L’âme, vraiment? Une entité séparée du corps, parfaitement indépendante. (Au moins, ceux qui défendaient cette conception dans le passé voyaient dans la maladie mentale la possession d’un esprit malin, ce qui, pour moi, est déjà plus près de la vérité). Pourquoi donc ne pas vouloir admettre que la maladie mentale, dans son caractère de fatalité, échappe à la volonté? Pourquoi vouloir à tout pris imputer la faute au malade? Aura-t-on idée d’accuser l’épileptique, le diabétique, l’amputé, de mauvaise foi?

Peut-être est-ce la peur, cette mauvaise conseillère, qui guide le jugement du commun. Admettre que les troubles mentaux échappe à la volonté, c’est se savoir vulnérable à leurs assauts. Nous nous drapons d’authenticité, ignorant les mouvements qui nous constituent, de peur d’être emporté par le courant, oubliant que nous ne sommes nous-mêmes qu'une part de ce courant ( je ne passe pas le temps, le temps passe en moi).

La part de volonté qui subsiste se révèle dans notre acceptation de la maladie ou dans son déni. La société nous pousse dans les bras du déni ou de la honte (lorsque nous acceptons la maladie). "Honte à toi qui est bipolaire, faible créature désorganisée! Sois forte et arrête ce cirque". Quant aux cachets, c’est bien suspicieusement qu’on les considère : encore un signe de faiblesse! On se demande pourquoi tant de malades refusent leur prescription. C’est, entre autres, le poids du déshonneur.

Ma maladie m’aura enseigné bien des choses sur moi, mais tout autant sur les autres. Plutôt que de faire œuvre d’empathie (en mobilisant les émotions et l’imagination), le commun part de sa réalité pour juger le plus rapidement possible : "lorsque je suis d’humeur grise, je me change les idées et ça passe. C’est ma volonté qui me sort de mon marasme. Fais de même!" C’est comme si je disais à l’amputé de mettre un diachylon sur son moignon. Accepter la maladie mentale comme fatalité demande d’accepter le caractère tragique de l’existence. Voilà qui n'est pas donné à tout le monde...


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